De Mujeres libres à Femmes libres Plaidoyer pour une coordination de Femmes Libres au sein de la CNT
[Posté le 20/02/2018]
Nos luttes ne nous renvoient pas dos à dos. Complémentaires, elles s’additionnent
En 1936, Mujeres Libres revendique de mettre fin au « triple esclavage des femmes : l’ignorance, le capital et les hommes ». En juillet 1937, avec ses 20 000 adhérentes, provenant majoritairement des secteurs populaires, Mujeres Libres défend l’émancipation des femmes et leur participation à la lutte révolutionnaire. L’organisation se réclame d’un « féminisme prolétarien » dans le but de se dissocier du féminisme libéral qui prône l’égalité des femmes sans contester les rapports de domination de classes. Leurs « camarades » n’étaient pas pour autant enclins à les reconnaître politiquement comme une organisation autonome au sein du mouvement libertaire.
Ainsi parlait Anna Delso, une de ces Mujeres Libres : « La capacité d’organisation des femmes me laisse stupéfaite. Plusieurs d’entre elles ont un rôle prépondérant dans leur syndicat CNT, et font partie en même temps du comité d’autogestion de leur usine. Elles se trouvent au même niveau d’égalité que les hommes dans une société non hiérarchisée. C’est une transformation totale et radicale de la vie sociale. Les femmes espagnoles en avaient tant besoin ! Elles se sont débarrassées de l’esclavage que leur imposaient le clergé, le mari, le père, les frères et tous les autres.
À tous ceux qui nous disent : Oui, nous sommes d’accord avec vos revendications de femmes, mais il faut laisser tout cela pour après, car votre attitude peut créer des divisions. Nous leur répondons : Pour après quoi ? C’est maintenant ou jamais ! Leurs idées sont une chose et leur femme et leur famille autre chose. Leur femme est à eux, intouchable. Comme les abeilles vont de fleur en fleur, eux peuvent aller de femme en femme. Et ils trouvent ça très naturel, mais ils ne peuvent accepter qu’une femme puisse en faire autant. La sempiternelle devise de la femme, bonne mère, bonne épouse, fidèle et obéissante, doit changer ».
Définies par le patriarcat
Le patriarcat est un système fondé sur la hiérarchisation des individus en fonction de leur sexe biologique, celui avec lequel on nait. Le sexe social est notre place dans la société définie par le patriarcat selon notre sexe biologique. C’est une construction sociale au même titre que la race sociale. La société étant construite et organisée selon trois système de domination : capitalisme, patriarcat, colonialisme (racisme), une même femme peut donc être victime des trois constructions. Nous vivons dans une société dans laquelle on nous rappelle systématiquement (ou de manière systémique) que nous sommes des femmes. On cherche un boulot ? On monte dans un bus ? On se promène dans la rue ? On ouvre un magazine ? On discute avec les parents lors d’un repas ? On regarde un film ? On joue à un jeu vidéo ? On veut avoir un enfant ? On ne veut pas en avoir ? On veut faire de la politique ? On demande une augmentation de salaire ? Bref. Tout le temps. Partout. Ce monde nous envoie un message clair : vous êtes des femmes.
La non-mixité subie
« La non-mixité est d’abord une imposition du système patriarcal, qui exclut les
femmes par principe, en les considérant comme ne faisant pas partie de la société
politique – de jure en France jusqu’en 1945, ou aujourd’hui de facto. Le monde est
dirigé par des clubs d’hommes : au niveau international, ONU, OSCE, OTAN, et au
niveau national : gouvernements, niveaux décisionnels des administrations, et des
armées, comme des ministères correspondant à ces organismes. Clubs d’hommes
encore dans la France d’en bas, dans les mairies, les amicales, les innombrables
amicales de boulistes, de pêcheurs, de pratiquants de sports nouveaux ou
traditionnels ; la chasse par exemple est bien gardée de plus d’un point de vue » explique Christine Dephy (sociologue, auteure, entre-autres de L’ennemi principal : économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 1998, co-organisatrice du Manifeste des 343 salopes en avril 1971)
L’histoire nous a appris que les victoires féministes ont été menées et gagnées par les femmes, pour les femmes, ce qui ne signifie pas contre les hommes mais bien par et pour les femmes. Il ne tient qu’à nous de nous organiser, de créer des espaces d’échanges, de dialogue, de partage des expériences et de la pratique. Nous n’avons pas à demander une quelconque autorisation, nous femmes socialement et ou racialement opprimées pouvons, devons le faire.
Nous savons que dans ces espaces non-mixtes pour les femmes, la chape de plomb
des violences sexistes et sexuelles se lève, la parole devient possible pour nombre
de femmes qui, hors de cet espace sécurisé, n’en trouvaient pas la force.
La non-mixité choisie
« La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de
l’auto-émancipation. L’auto-émancipation, c’est la lutte par les opprimés pour les
opprimés. Cette idée simple, il semble que chaque génération politique doive la
redécouvrir. Dans les années 1960, elle a d’abord été redécouverte par le
mouvement américain pour les droits civils qui, après deux ans de lutte mixte, a
décidé de créer des groupes noirs, fermés aux Blancs. Car dans les groupes mixtes,
Noirs-Blancs ou femmes-hommes, et en général dans les groupes dominés-dominants, c’est la vision dominante du préjudice subi par le groupe dominé qui tend à… dominer. Les opprimés doivent non seulement diriger la lutte contre leur
oppression, mais auparavant définir cette oppression elles et eux-mêmes. C’est
pourquoi la non-mixité voulue, la non-mixité politique, doit demeurer la pratique de
base de toute lutte ; et c’est seulement ainsi que les moments mixtes de la lutte – car
il y en a et il faut qu’il y en ait – ne seront pas susceptibles de déraper vers une
reconduction douce de la domination » Toujours Christine Delpy.
C’est dans cet espace que les luttes se forgent, des luttes qui ne mettent pas en péril
d’autres luttes mais qui s’y s’additionnent.
« Si la domination nous divise contre nous-mêmes sous les effets conjugués de
l’utilisation qui est faite de nous et de l’intériorisation de notre "différence", elle
porte aussi la naissance de notre conscience. Les pratiques des dominants, qui nous
morcellent, nous obligent à nous considérer comme formées de morceaux
hétérogènes… Notre résistance contre l’utilisation qui est faite de nous (résistance
qui croît quand nous l’analysons) rend notre existence homogène… Aujourd’hui cette conscience est encore individuelle, c’est celle de l’expérience particulière.. et pas
encore notre conscience de classe. En d’autres termes notre conscience de nous-mêmes comme individues, mais pas encore le savoir que la relation où nous
sommes définies est une relation sociale, que ce n’est pas un hasard malheureux ou
une malchance personnelle qui a mis notre personne dans cet inévitable dilemme…
Il serait temps que nous nous connaissions pour ce que nous sommes :
idéologiquement morcelées parce que utilisées à des usages concrets dispersés.
Mais uniques et homogènes en tant que classe appropriée. En tant que femmes
conscientes d’être morcelées par une relation de pouvoir, une relation de classe qui
les disperse, les éloigne, les différencie, mais qui luttent pour leur propre classe –
leur propre vie, elle non divisible. » Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir.
Que vive Femmes Libres dans nos UL, UD, UR….
Femmes Libres CNT, UL Saint-Etienne.